Eternal sunshine of the spotless mind, Michel Gondry

Il ne s’agit pas ici d’une critique de film, tout du moins pas dans le sens dont on l’entend habituellement, mais d’un avis subjectif. Tout au plus une forme de « gonzo critique » si cela peut vouloir dire quelque chose (et si je peux me permettre de faire référence à des écrits que je n’ai pas lus).

J’ai une relation particulière avec ce film. La première fois que je l’ai vu c’était dans une petite salle au cinéma Katorza à Nantes, tout jeune homme à peine sorti de l’adolescence. L’assistance était tellement émue qu’à la fin la personne à coté de moi a oublié son écharpe en partant et que je lui ai rapportée, à moins que ça n’ait été l’inverse, je ne me souviens plus. Je me rappelle en revanche que j’étais assez troublé sans trop savoir quoi en penser. Un ami beaucoup plus enthousiaste, et malheureux en amour tout comme je l’étais, m’a affirmé avoir eu l’impression qu’il n’avait été fait que pour lui. J’ai acheté le CD de la bande originale et j’ai été assez déçu. Depuis je ne l’avais jamais revu, à part les premières minutes un jour où je ne savais pas quoi regarder. Une fois, une jeune fille que j’avais aimée et qui ne portait pas encore à l’époque les cheveux teints de différentes couleurs comme le personnage incarné par Kate Winslet, me dit qu’il était plus difficile pour les personnes intelligentes d’être heureuses et que c’était le sens de ce titre.

Il est extrêmement difficile de parler de ce film car il est construit comme un rêve, les éléments y sont imbriqués et les thématiques se répètent, comme le morceau principal dont la douceur feutrée rappelle le son des vinyles en fin de lecture, ou le mélancolique Everybody’s Gotta Learn Sometimes de Beck. Il s’agit sans aucun doute du plus grand film de Michel Gondry qui n’est pourtant pas avare en la matière, puisqu’il parvient à rendre l’onirisme par la chronologie chamboulée des événements et la disparition des éléments du décor au fur et à mesure que les souvenirs du personnage principal s’effacent, sans tomber dans les travers artificiels qu’on pourrait lui reprocher dans La science des rêves ou dans L’Écume des jours. L’avoir revu tout en connaissant l’histoire m’a permis d’apprécier différemment le début, de la porte qui claque au réveil du protagoniste donnant un semblant d’inquiétante étrangeté, à l’intervention d’Elijah Wood dont l’attitude est alors incompréhensible. Il est vrai que cette relecture sera offerte de manière plus courte au spectateur, renforçant alors l’impression de répétition qui traverse le récit. Répétitions des dialogues, des images, des musiques, des lieux… et même des histoires d’amours.

Un aspect que je n’avais compris qu’en partie et que j’ai redécouvert une dizaine d’année plus tard, c’est que cette histoire d’amour est aussi celle de freaks, d’handicapés de la vie dont la sensibilité les empêche d’être complètement heureux mais leur permet en même temps de vivre pleinement. C’est le cas évidemment de Joel, le personnage timide, introverti et mal à l’aise joué par Jim Carrey, qui est totalement juste, touchant et à contre-emploi de ce qu’il avait montré jusque-là dans sa carrière. Mais c’est aussi le cas de Clementine interprétée par Kate Winslet et qui le dit elle-même à plusieurs reprises : « I’m just a fuck-up girl looking for my own peace of mind. » Tout les couples sont par ailleurs dysfonctionnels, des amis de Joel qui passent leur temps à s’engueuler, aux salariés de la société sensée pourtant effacer les souvenirs douloureux, au point que l’on pourrait se demander si comme le disait Aragon « il n’y a pas d’amour heureux ». Et puis on remonte le temps à travers les souvenirs de Joel et après (ou avant chronologiquement) les derniers moments douloureux, comme quelqu’un qui retrouverait une photo ou une lettre peu après une rupture, on redécouvre la magie, la poésie et la complicité qui nous fait penser que finalement, ça en vaut, littéralement, la peine.

Une nuit à Tulum

Je reposais ma bière sur le bar de l’hôtel miteux où j’essayais sans succès de me saouler depuis une heure. Elle n’était plus très fraiche entre mes mains et pourtant ce n’était pas la première. L’étiquette ne tenait plus à cause de l’humidité et j’enlevais machinalement les morceaux qui se décollaient. Moi aussi, je suais dans le costume couleur glace à la vanille que j’avais porté pour le rendez-vous d’affaire qui m’avait amené dans cette petite ville du Yucatan aujourd’hui envahie par les touristes. Les premiers clients arrivèrent et je les joignis pour une partie de cartes. Il y avait une grande blonde avec une forte poitrine, une allemande. Elle manquait de grâce mais son corps attirait le désir des hommes. Un amerloque, cliché vivant, dont les membres poilus dépassaient de son short beige et de sa chemise kaki. Enfin un immigré d’Europe de l’Est dont je ne me rappelle ni le nom ni le visage, mais qui effectuait des apartés en allemand avec la femme de temps en temps, ça je m’en souviens très bien. La conversation trainait misérablement, chacun essayait de faire un effort mais en vérité tout le monde s’ennuyait. En dehors du barman et de quelques habitués qui n’avaient pas pris de chambre, il n’y avait personne d’autre que nous. L’américain commanda une bouteille de whisky et nous en servit. De grosses gouttes de sueur nous perlaient au front et coulaient de sous mon Panama ramené d’un voyage précédent. Petit à petit les esprits s’échauffèrent, les visages devinrent rouge et je commençais à avoir des pensées obscènes envers ma voisine, que je n’avais pas la force, écrasé par la chaleur, d’essayer de satisfaire. Je sortis un moment pour pisser dans la rue et lorsque je revins les autres me proposèrent d’aller ailleurs.

La suite est un peu floue. Nous voulions rejoindre le seul vrai bar de la ville destiné aux étrangers et où nous aurions donc une chance de trouver un Scotch de qualité. De mon coté, pour une raison que j’ignore, je ne rêvais que d’un irish coffee. Une résurgence de mes origines irlandaises peut-être. Mais rien ne se déroula comme prévu. Nous sommes passés à coté d’une fête qui débordait sur la rue. La musique, la lumière, la foule, tout nous attirait. L’intérieur était moite comme une jeune fille nubile. Je me précipitai vers le comptoir et portai goulument une bière à mes lèvres, avant de regarder autour de moi. Un groupe de musiciens se déchaînait au milieu des danseurs. Dans les ombres, je percevais les corps d’adolescents qui s’embrassaient. Nous étions tous tellement serrés qu’il était impossible de faire un geste sans rentrer dans quelqu’un. Je vis mes camarades en transe et je les rejoignis avec une joie malsaine, mais je gardais malgré moi un reste de lucidité qui me faisait prendre conscience de la démence de la scène. Bientôt, je rencontrais une vieille dame qui semblait possédée par une énergie dont son corps n’aurait pas du être capable. On me dit qu’elle avait 80 ans, que c’était son anniversaire et je dus danser avec elle. Je repris une bière. C’est à ce moment qu’elle arriva. Je me rappelle de son regard. Toutes les autres parties de son visage ont disparu de ma mémoire, mais lorsqu’elle m’aperçut, son regard resta une longue seconde accroché au mien, puis elle le détourna avec un sourire gêné. Je ne la quittai pas des yeux. Elle était venue avec des amis et devait avoir quel âge ? 20 ans ou moins ? Elle se glissa dans la foule, je me rapprochai et il ne fallut pas dix minutes avant qu’elle ne vienne se blottir comme une chatte tout contre moi. Et quoi de plus beau que le premier coup de langue échangé entre deux personnes qui viennent de se rencontrer ? Nous dûmes nous asseoir sur un même tabouret et je me souviendrai toute ma vie de la sensation de son cul posé contre mon entrejambe. J’avais une érection terrible et au bout d’un moment, n’y tenant plus, je l’emmenai afin d’en finir.

Dehors, je ne prêtai pas attention à la nuit qui se posait sur nous comme un feutre avec la douceur de l’air. Mes tempes battaient au rythme de mes grandes enjambées. Les lueurs tanguaient dans la rue sur un air cubain qui s’amenuisait à mesure que nous nous éloignions. Je gardais sa main dans la mienne et ce contact prenait une importance démesurée comme dans un rêve. A peine avions-nous pénétré dans l’obscurité que je la plaquais contre un mur avec brusquerie. Nos corps étaient collés l’un à l’autre avec une intimité qui ne pouvait être augmentée que par l’acte sexuel. Je l’embrassai avec avidité et elle me répondait avec la même sauvagerie puis me chuchoté à l’oreille la voix pleine d’excitation « Fuck me! » Elle fermait déjà les yeux et rejetait la tête en arrière lorsqu’elle se reprit tout à coup : « Not here! La policia. » Coupé dans mon élan je regardais autour de moi et je vis effectivement un véhicule avec un gyrophare sur le toit. Il passait lentement et nous demeurions serrés l’un contre l’autre avec l’impression d’y avoir échappé de peu. Dès qu’ils furent partis elle m’embarqua avec elle dans l’un des quelques taxis qui patientaient à cette heure dans l’avenue principale. Par la fenêtre, j’observais les baraques éclairées le long de la route, puis les premiers arbres en bordure de la jungle. La lumière des phares effleurait les palmiers dont la silhouette se détachait légèrement sur le ciel.

A peine arrivés, elle prit un chemin et m’emmena avec elle. Je la suivis, quand soudain me vint une pensée qui me mit mal à l’aise : n’était-elle pas en train de me conduire vers un guet-apens ? J’étais perdu, au milieu de nulle part, avec cette fille que je ne connaissais pas et je me savais imbibé d’alcool. Je me remémorais en vain les conseils de prudence donnés à l’ambassade lorsque tout à coup je m’arrêtai et demeurai saisi par le bruit des vagues, que dans les ténèbres on distinguait à peine… Elle m’embrassa de nouveau et je la sentais frémissante sous le mince tissu qui la recouvrait. Sa chaleur réclamait la mienne et bien vite je la jetai sur le sable où elle s’offrit complaisamment. Elle dénoua ma ceinture et sortait ce que je peux appeler sans mentir mon braquemart de compétition quand un rai de lumière balaya la plage. Une lampe torche se balançait de droite à gauche et se dirigeait de façon bien trop évidente dans notre direction. Quand elle se fut suffisamment rapprochée et après nous être rhabillés en vitesse, nous pûmes constater qu’elle était tenue par un policier en costume d’opérette qui m’adressa quelques mots en espagnol, puis comme je ne répondais pas, m’ignora superbement. Les vingt minutes qui suivirent, il me tourna le dos et interrogea ma jolie petite indigène. Je comprenais vaguement qu’il était question de drogue et de prostitution, mais je ne voyais pas où il voulait en venir, car il refusa même un pourboire pour sa discrétion. Dans ma semi-ivresse, j’essayais de contenir ma colère et mon envie de lui casser la gueule. Il ne se doutait de rien, habitué à un peuple tétanisé par l’arbitraire, mais je lui laissais le bénéfice de l’entrainement, bien qu’il fasse une tête de moins que moi.

Dès qu’il se fut retiré, nous décidâmes de nous éloigner afin de ne pas être dérangés à nouveau. Les tâches sombres sur le sol s’avérèrent des tas d’algues gluantes qui nous poussèrent à continuer plus loin. Le faible éclairage à l’entrée de la plage diminua progressivement, puis disparut à l’un des détours du rivage. Je plaçais alors ma main à l’endroit où il fallait et je la fis mouiller immédiatement. Elle n’attendait qu’une chose, avec la ferveur d’une débutante à sa première communion, c’était que je la prenne. C’était une machine parfaitement huilée et je la faisais caler en première. En effet, pour moi le moment était passé et je me retournais au moindre de souffle de vent de peur qu’on nous surprenne. Devant mon manque de foi elle s’empressa de m’astiquer la queue frénétiquement. Mesdemoiselles, vous qui êtes si promptes à faire reposer sur le mâle l’essentiel de l’acte sexuel, sachez que nous sommes nous aussi avant tout des êtres de fantasmes et qu’il ne sert à rien de nous secouer vigoureusement si l’envie n’y est pas. Malgré tout, ses dents contre mon gland réveillèrent en moi le souvenir d’une capitale européenne, ce qui me donna un regain d’énergie. Je revis fugitivement une chevelure rousse, de grands yeux suppliants, des éclats de peau pâle… Retrouvant une once de désir je m’autorisais alors pour la première fois de la considérer comme un objet. Non par égoïsme, mais parce que je venais de comprendre qu’elle souffrait dans son orgueil de ne pouvoir me satisfaire et de la gêne qui s’installait. Je plaçais mon engin entre ses seins qu’elle n’avait pas et me branlais littéralement sur elle, jusqu’à obtenir un orgasme poussif qui recouvrit son corps de foutre.

« Delicious! » fut le cri qu’elle poussa, reprenant le rôle qu’elle s’était elle-même assigné. « Really? » m’étonnai-je, comprenant l’instant d’après ma bêtise. J’étais encore sonné par la décharge de plaisir amer qui venait de me traverser… Nous nous retrouvions loin de tout, en pleine nuit et seul le bruit du ressac nous donnait une indication de la direction à prendre. Pour tout dire, j’en avais ma claque. Je vous épargne par pure miséricorde la description du retour jusqu’à la plage, où nous dûmes repasser devant la sentinelle qui nous avait interrogé auparavant. Un lampadaire nous indiqua l’emplacement d’un établissement privé, où elle demanda la permission au vigile d’utiliser les toilettes. Elle fut assez longue et je me demandais si elle se sentait sale, n’ayant pas vu où ma semence avait été projetée. Le gardien ne disait rien à la manière mexicaine, sa présence masculine et neutre était presque réconfortante, mais je ne pouvais m’empêcher de ressentir une sorte de malaise. Lorsqu’elle ressortit, nous longeâmes la route qui menait à la ville. Elle portait ses chaussures à la main et c’est à ce moment-là que je me suis aperçu qu’elle avait perdu sa jupe, elle me confirma qu’elle ne savait pas où elle était. Nous n’échangeâmes que quelques mots, harassés de fatigue que nous étions. Petit à petit, la pâleur qui précède l’aurore commença à colorier d’une froide clarté un ciel d’encre de Chine. Les premières voitures firent leur apparition, jusqu’à ce qu’un taxi ne nous découvre comme deux naufragés, sur le bord de la chaussée. Au moment de descendre elle me demanda où je logeais et je lui répondis en fermant la porte, sans prendre la peine de vérifier si elle avait entendu. Je ne savais même pas comment elle s’appelait, mais peu importe, du moment que je pouvais fourrer ma langue dans sa bouche.