Vegan or not vegan, is that the question?

Il y a quelques jours, alors que je prenais des photos sur Piccadilly Circus dans le cœur de Londres, je suis tombé par hasard sur un happening organisé par des militants de la cause vegan et j’ai été abordé par un jeune homme. La conversation qui a suivi pourrait être résumée en Français de cette manière :
-Bonjour, est-ce que vous avez déjà entendu parler du mouvement vegan ?
-Oui, je connais, mais je n’en fais pas partie.
-Avez-vous un chien ?
-Oui, mes parents en ont un…
-Pensez-vous qu’il y a une différence entre manger un chien et un cochon ? Que l’un mérite plus de vivre que l’autre ?
-Non, pas vraiment…
-Dans ce cas, mangeriez-vous du chien ?
-Eh bien, oui, j’imagine…
Le moment de consternation provoqué par ma réponse chez mon interlocuteur ne m’a pas entièrement déplu et m’a rappelé une précédente discussion que j’avais eue avec un membre de l’église de scientologie aux arguments également prémâchés, mais il ne lui a fallu que quelques secondes pour se reprendre et continuer, y compris lorsque je lui ai dit pour qu’il me laisse en paix que je ne comprenais pas bien l’anglais. Et pourtant, en vérité, aujourd’hui encore je ne connais pas la réponse à sa question. Je me débats entre mes contradiction depuis que j’ai vu à Madère un cochon me regarder d’un œil presqu’humain et que lors d’une fête agricole au Mexique j’ai contemplé un bœuf avec compassion. J’ai conclu provisoirement de ne prendre aucune décision définitive et de m’en tenir à la maxime d’Eddard Stark dans le Trône de Fer, c’est-à-dire que celui qui prononce la sentence doit être capable de l’appliquer lui-même. Cela m’a conduit dans la plupart des situations à refuser la viande de porc dont pourtant je raffole, car je ne m’imagine pas trucider une bête aussi sensible et intelligente, mais bizarrement tuer un poulet pour me nourrir ne m’empêcherait pas de dormir. La position du flexitarien, c’est-à-dire réduire sa consommation de viande sans pour autant s’en passer, me fournit le confort idéologique d’être sur d’effectuer un progrès par rapport à ma situation précédente, sans pour autant verser dans les erreurs du radicalisme opposé.

Il est vrai que les arguments des vegans et des végétariens confondus sont pertinents sur de nombreux points, comme l’a souligné un rapport[1] de la fondation Terra Nova rendu le 23 novembre 2017 qui appelle à une diminution de la consommation de viande, avec par exemple la mise en place d’un repas végétarien par semaine dans les cantines scolaires. Tout d’abord, l’élevage représente 14,5% des émissions de gaz à effet de serres produits par l’activité humaine, qui contribuent aux changements climatiques dont nous commençons seulement à pâtir. En effet, l’élevage nécessite beaucoup plus d’énergie, de terres et d’eau pour produire la même quantité de nourriture qu’il n’en est nécessaire si nous mangeons directement ce que nous faisons pousser, selon des ratios qui différent selon les espèces. Ainsi la viande de bœuf est bien plus néfaste pour le climat que celle de volaille. L’impact sur l’environnement ne se limite pas là, si l’on prend en compte les effets dévastateurs sur la qualité de l’eau, à travers les nitrates par exemple qui favorisent le développement des algues vertes en Bretagne, ou bien la déforestation dont l’élevage est responsable à 63% en Amazonie[2]. Ensuite, dans les pays industrialisés, la consommation de viande est supérieure à ce qui serait idéal pour notre santé, ce qui provoque un risque accru de cancers, de maladies cardiovasculaire, d’hypertension, de diabète et d’obésité. Ainsi, un rapport[3] de 2015 du Centre international de Recherche sur le Cancer met en évidence le lien entre la consommation de viande rouge et de viande transformée avec certains types de cancers. On peut déjà constater les effets négatifs dans le domaine de la santé dus à un changement de régime de la population vers une alimentation plus carnée dans certains pays comme la Chine. Enfin et c’est peut être le plus important pour la majorité de ceux qui décident de devenir vegans ou végétariens, les conditions dans lesquelles sont actuellement effectuées l’élevage et l’abattage dans une grande majorité des cas créent une souffrance et un stress énormes pour les animaux comme l’ont montré plusieurs vidéos diffusées par L214, ainsi qu’évidemment leur mort.

En revanche, sont parfois avancés d’autres arguments qui pourraient prêter à sourire s’ils n’étaient souvent accompagnés d’une injonction morale. C’est le cas par exemple de celui pseudo-scientifique de la longueur des intestins ou autres caractéristiques physiques sensées nous ranger dans la catégorie des herbivores. D’ailleurs, le régime vegan est si peu naturel pour l’homme que celui-ci risque des carences nutritives s’il ne prend pas de vitamines B12. A ce sujet, ce sont justement les progrès scientifiques qui permettent à ceux qui le souhaitent de ne plus se nourrir de produits issus des animaux tout en restant en bonne santé et par là-même de s’éloigner de notre état naturel qu’il ne faut pas idéaliser. Un autre point mérite qu’on s’y attarde, c’est celui de la dissonance cognitive dont seraient victimes les bouffeurs de bifteck, autrement dit l’exemple du chien et du cochon avancé par le nouveau converti de Piccadilly Circus. Le chanteur végétarien Paul Mc Cartney l’a formulé d’une autre manière en affirmant que si les abattoirs avaient des murs en verre, plus personne ne mangerait de viande. On peut raisonnablement supposer en effet qu’avec la transformation des aliments, le matraquage publicitaire et la bambification de la nature dans notre imaginaire (oui, ce mot existe), beaucoup de personnes n’ont plus conscience d’où provient leur nourriture et auraient bien de la peine à assumer son mode de production. Cependant, à l’époque de nos grands-parents, la plupart des gens vivaient quotidiennement en présence des animaux, ce qui ne les empêchait pas de manger de la viande, même si en moindre quantité qu’aujourd’hui. Le plus probable par conséquent est que tout le monde n’a tout simplement pas la même sensibilité à ce sujet et que celle-ci ne s’est développée dans la société que très récemment, comme on peut le constater avec les progrès qui ont eu lieu depuis un siècle concernant le droit des animaux. Cela illustre les difficultés d’un choix moral, qui selon moi ne peut pas s’appuyer uniquement sur la raison. En outre, je n’ai pas épuisé ni résolu le fond du sujet, par exemple concernant les différences entres les positions vegan et végétarienne (les abeilles souffrent-elles vraiment de leur « exploitation » ?) Je laisse au lecteur le soin de se faire sa propre opinion, la mienne n’étant toujours pas fixée. Pour cela il lui suffit d’étudier les arguments valables et ne pas tenir compte des autres, en revanche il convient de conserver le grain et l’ivraie afin d’effectuer une critique de l’idéologie vegan en elle-même, ce que je m’apprête à faire.

Ma confrontation avec ce mouvement ne date pas de mon interpellation londonienne, puisqu’à ce moment-là je venais de passer quelques jours chez une amie vegan. L’un des points de départ peut être de l’écriture de cet essai fut la déception et l’agacement que j’ai ressenti lorsque qu’après m’avoir remercié elle m’a très gentiment expliqué ne pas pouvoir manger les chocolats que je lui avais apporté « parce qu’ils n’étaient pas vegans » (la lecture sur la boite m’informa de la présence de lait dans la composition). Cela m’avait remis en mémoire une interview visionnée récemment de Pierre Rabhi où celui-ci considérait que certaines personnes appliquaient avec trop de rigueur ces interdits alimentaires et en perdaient le plaisir de manger. Quoi de mal à cela ? S’il faut respecter les croyances puisque personne n’en est totalement dépourvues, je n’ai pas pu m’empêcher de constater en mon for intérieur les contradictions entre le respect d’un rituel et les causes raisonnées qui sont sensées en être à l’origine. En effet ces chocolats avaient déjà été achetés dans le but spécifique de lui être offerts à cette occasion, puisqu’on ne s’était pas vus depuis deux ans, les manger ne risquait donc pas d’augmenter la production et par là-même la souffrance animale. Au contraire, ne pas le faire constituait une contrainte aussi bien personnelle puisqu’elle aime le chocolat, qu’un risque diplomatique envers un ami que certains attribueront peut être à raison à la pression sociale. J’ai donc eu l’impression que sa décision provenait de la peur d’enfreindre une règle trop longtemps respectée. La situation est selon moi différente en ce qui concerne les personnes qui ne peuvent pas manger un animal car cela les dégoute, en effet elles sont dans ce cas tout à fait cohérentes. Une personne vegan ou végétarienne qui ne veut pas acheter de viande l’est également, puisque qu’elle contribuerait dans le cas contraire à la souffrance animale. Mais peut être que ma tentative d’analyse est trop rationnelle pour s’appliquer à des comportements humains ou biaisée par mon implication personnelle.

D’autres moments lors de ce séjour ont nourri ma réflexion. L’un de ceux-ci fut une discussion que j’ai eue avec cette amie, lorsqu’elle m’indiqua que les biscuits que je venais d’acheter sur le quai de la gare étaient « vegans ». Un peu surpris qu’elle utilisa cette dénomination pour un genre de produit qui ne contient pas nécessairement des ingrédients d’origine animale, je lui demandais si à son avis une pomme était « vegan ». Elle me répondit que selon sa définition c’était le cas, même si elle contenait des bactéries et éventuellement des insectes. Pourtant, repris-je, les pommes existaient avant même que le mot de vegan ne soit inventé, sur quoi elle m’indiqua que cela n’empêchait pas de l’utiliser, sous-entendu comme adjectif et marqua un point. Cependant, cela ne m’ôta pas de l’esprit que l’emploi de ce vocabulaire dans un contexte aussi large traduit une tournure d’esprit liée à la pureté qu’on retrouve dans la plupart des religions, comme les concepts de « casher » et de « halal ». Intuition confortée par d’autres similarités[4] avec les mouvements religieux comme le sentiment d’appartenance identitaire. Par ailleurs, en regardant la constitution alimentaire sur le paquet de biscuit, je me suis aperçu qu’en effet il ne contenait pas de lait mais de l’huile de palme, comme je l’appris plus tard, c’est souvent le cas pour les steaks vegans. Pour ceux qui l’ignorent, l’exploitation de l’huile de palme est une catastrophe[5] à la fois environnementale et sociale, puisqu’elle est l’un des principaux facteurs de la déforestation en Indonésie et en Malaisie et donc remet en cause la survie d’espèces telles que l’orang-outang. En outre, elle est également néfaste pour le climat, puisque si on prend en compte toute la chaîne de production, son utilisation comme biocarburant est pire encore que celle des combustibles fossiles. C’est la raison pour laquelle des associations comme Oxfam et Les Amis de la Terre ont fait de son interdiction l’un de leur principal cheval de bataille. Sur le moment je n’ai pas osé partager mes pensées, ayant en tête le sentiment de persécution relatif ressenti par de nombreux végétariens et l’absence de commentaires de ma part envers la plupart de mes amis qui se contentent de polluer de la même manière que la majorité des gens ou moi-même, mais cette découverte fut le point de départ d’une réflexion d’ordre plus générale que je me propose de partager maintenant.

Les vegans et végétariens confondus ont compris quelque chose de fondamental, c’est-à-dire que nous sommes responsables de nos actes au quotidien. Cela peut être illustré par la légende du colibri qui, alors que tout les animaux fuient devant l’incendie ravageant la forêt, transporte de minuscules gouttes d’eau pour l’éteindre et qui lorsqu’on lui rappelle que cela ne suffira pas répond « Je sais, mais je fais ma part. » Il n’y a pas de responsabilité collective autre que la somme des responsabilités individuelles. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas d’action collective comme certains pourraient le croire, au contraire celle-ci est plus urgente et nécessaire que jamais, mais que nous avons tous notre responsabilité individuelle aussi bien dans l’action collective que dans nos choix personnels. Ne pas aggraver la situation du monde ne suffit pas, car ce que nous ne faisons pas est aussi important que ce que nous faisons. Je retranscris ici tels quels les mots du philosophe anglais John Stuart Mill afin de ne pas les dénaturer : “Let no one pacify his conscience by the delusion that he can do no harm if he takes no part and forms no opinion. Bad men need nothing more to compass their ends, than that good men should look on and do nothing.” Certains ont décidé de ne plus manger de viande car c’est le sujet qui les touche le plus et leur prise de conscience comme leur effort pour rester cohérent par rapport à celle-ci est tout à leur honneur, cependant nous ne devons pas nous laisser enfermer dans une doctrine particulière mais au contraire prendre en compte l’ensemble des problèmes et des solutions. Comme le dit encore une fois Pierre Rabhi, on peut tout à fait manger bio et exploiter son prochain. Refuser de consommer de la viande mais acheter des produits contenants de l’huile de palme ou issus de l’agriculture intensive utilisatrice de pesticides révèle une vision partielle des conséquences de nos modes de vie. En outre, cela ne concerne pas seulement l’alimentation mais tous les biens de consommation. Par exemple la fabrication des smartphones nécessite l’extraction de ce qu’on appelle « les minerais du sang » dans des conditions épouvantables pour les travailleurs, ce qui alimente également des conflits en Afrique par l’enrichissement de milices armées[6]. De plus, nous ne sommes pas que des consommateurs et beaucoup de personnes croient à tort abandonner leur responsabilité politique en votant lors des élections, alors que le bon fonctionnement de la démocratie nécessite aussi que chaque citoyen s’interroge sur le bien-fondé de participer ou non à tel parti, syndicat, association, mouvement, coopérative, manifestation, action de désobéissance civile… Qu’il est commode de blâmer ceux qui sont prétendument au pouvoir et de feindre d’oublier que nul ne peut nous ôter la responsabilité de notre (in)action ! Dans son texte sur la désobéissance civile Henry David Thoreau déplore déjà cette attitude chez ses contemporains : « Il y a des milliers de gens qui par principe s’opposent à l’esclavage et à la guerre mais qui en pratique ne font rien pour y mettre un terme […] On tergiverse, on déplore et quelque fois on pétitionne, mais on n’entreprend rien de sérieux ni d’effectif. On attend, avec bienveillance, que d’autres remédient au mal, afin de n’avoir plus à le déplorer. »

Les sujets sont nombreux : changements climatiques, destruction des écosystèmes, violations des droits de l’homme, actes de guerres, atteintes à la démocratie, exploitation des plus pauvres, crises humanitaires… Personne, aucune autorité ne peut nous dire lequel est le plus urgent ou le plus important. Il n’y a pas de recette universelle et c’est pourquoi il faut se défier de toute certitude ou sentiment de supériorité moral qui mène droit à l’intolérance et au dogmatisme. Face à ce constat il est tentant de se décourager et c’est sans doute pourquoi la plupart d’entre nous préfèrent rester dans le déni. C’est pourtant la réalité et nous devons avoir non seulement de la lucidité mais aussi un peu de courage afin d’y faire face. La bonne nouvelle c’est qu’en étant pleinement conscient de nos actes et en remédiant à notre échelle à certains comportements que nous avons laissé s’installer dans notre vie quotidienne, nous serons plus cohérents avec nous-mêmes et par conséquent plus heureux, y compris lorsque nous y perdons un peu de confort. L’écologie par exemple n’est pas un sacrifice ni une punition pour nos fautes, c’est un idéal atteignable afin de mieux vivre ensemble, dans un monde où notre santé et notre bien-être ne seront pas dégradés par la course au profit. L’aliénation dans la pensée marxiste évoquait le problème de l’organisation du travail et c’est un point capital, mais ce n’est pas une fatalité. De la même manière nous pouvons résoudre un autre type d’aliénation dans notre société matérialiste en reconnectant l’être humain avec le monde du vivant dont il fait partie. La science nous informe déjà que l’altruisme a tendance à apporter du bien-être à ceux qui le pratiquent, alors qu’attendons-nous ?

[1] http://www.lemonde.fr/planete/article/2017/11/23/pour-terra-nova-le-regne-de-la-viande-est-revolu_5218949_3244.html

[2] https://www.greenpeace.fr/elevage/

[3] https://www.iarc.fr/fr/media-centre/pr/2015/pdfs/pr240_F.pdf

[4] https://www.orbis.info/2016/01/veganisme/

[5] http://www.amisdelaterre.org/IMG/pdf/dossier_de_presse_palme_web.pdf

[6] https://www.youtube.com/watch?v=w2PZQ-XprQU