Plaisir coupable

Il se tordait les doigts dans tout les sens et n’arrivait pas à cracher le morceau. Lloyd l’observa derrière ses lunettes rectangulaires qui lui donnaient l’air d’un banquier ou d’un agent en assurance : le vieil homme avait gardé sur lui sa gabardine qui devait déjà être démodée au moment où il l’avait achetée et son chapeau était posé sur le coin du bureau qui les séparait.
-Quelle que soit votre demande, monsieur Trezinsky, vous pouvez être assuré que nous avons déjà répondu à une requête similaire. Depuis sa création, des milliers de personnes ont fait appel à la Machine à rêves. Nous savons qu’il n’est pas évident d’exposer ses désirs les plus secrets, mais tout ce qui sera dit ici ne sortira pas de ces quatre murs. C’est d’ailleurs une obligation légale. Nous ne sommes pas là pour vous juger.
Ce discours que Lloyd avait déjà sorti de nombreuses fois pour les clients qui rechignaient après avoir entamé les premières démarches, sembla rasséréner un peu l’homme qui était en face de lui. Ce denier prit une profonde inspiration comme pour se donner du courage et commença d’une voix à peine audible :
-Voilà, c’est que voyez-vous, il y a cette jeune femme… Si elle pouvait être présente…
-Mais bien sur, nous aurons besoin de toutes les informations disponibles afin que l’illusion soit la plus parfaite possible. Tout d’abord, pouvez-vous m’indiquer le prénom et l’année de naissance de cette personne ?
-Clara et elle a 24 ans. Bientôt 25, ajoute-t-il précipitamment, comme si cela pouvait atténuer la différence d’âge avec lui-même.
-Entendu. Nous aurons besoin également d’un holo… et ans l’idéal de son ADN. Les résultats dans ce cas sont beaucoup plus probants, même si je ne vous cache pas que la prestation sera plus chère.
-Ce n’est pas un problème lui répondit Trezinsky, qui ne s’attendait à rien d’autre et lui fournit avec le fichier informatique quelques cheveux de femme enfermés dans un sachet en plastique.
Il y avait donc quand même songé sourit intérieurement Lloyd en prenant ces éléments.
-C’est parfait. Nous allons envoyer cela au labo et nous devrions être en mesure de vous recontacter dans les prochains jours.
-Si vous pouviez faire en sorte…
-Qu’elle soit bien disposées à votre égard ? Bien entendu, c’est une chose dont nous avons l’habitude.

Ils étaient nus sous les draps. Bien qu’ils aient été immobiles depuis un moment, Trezinsky ressentait dans tout son corps les ondes apaisantes de l’orgasme qu’ils avaient eus simultanément. Les seins lourds et moelleux de la jeune fille blonde à coté de lui reposaient contre sa propre poitrine et il pouvait les caresser à loisir sans que celle-ci ne proteste autrement que par un soupir de plaisir. Finalement elle sortit du lit et s’en alla prendre une douche. Il la suivit des yeux et contempla encore une fois sa taille parfaite, la cambrure de ses reins et sa démarche de félin. Si ça n’était que lui il la prendrait encore une fois, mais il savait qu’il s’agissait du signal. Il se rhabilla en hâte et sortit de la pièce. A l’extérieur il retrouva Lloyd vêtu de la blouse blanche qu’il arborait systématiquement à l’intérieur de l’établissement.
-Cela s’est-il passé selon vos souhaits ? s’enquerra celui-ci.
-Merveilleux ! Encore plus que je ne l’imaginais. Êtes-vous certain qu’il n’est pas possible de prolonger la séance ?
-Malheureusement. Les risques d’addiction sont importants et nous avons un règlement très strict à ce sujet. Certaines expériences dans le passé… ont présenté des difficultés.
-Très bien. Dans ce cas je reviendrai demain.
-Avez-vous de nouveau des changements à nous suggérer ?
-Aucun. Depuis que vous avez modifié la voix tout est parfait.
Sur ces mots le vieil homme s’éloigna d’un pas alerte qui trahissait son contentement tandis que Lloyd posait sur lui un regard bienveillant. Trezinsky semblait métamorphosé par le traitement qui lui était prodigué. Il gagnait une assurance et une joie de vivre qui étaient à l’opposé de l’impression qu’il avait laissée à son arrivée. Lloyd était pleinement satisfait du processus. C’était pour cette raison qu’avait été créée la Machine à rêves. Combien de gens avaient-ils arraché à la solitude et à la misère sexuelle ? Combien avaient-ils éloigné d’autres paradis artificiels dont les conséquences sur le long-terme étaient désastreuses ? Sans parler de l’impact social. Combien de crimes, de viols, de passages à l’acte évités par le pouvoir de la catharsis ? Il lui suffisait de voir la mine réjouie et l’air apaisé de ses clients pour être conforté dans le bien-fondé de son travail.

Au fil du temps, Lloyd et Trezinsky en vinrent à bien se connaître. Pourtant, à aucun moment ils n’évoquaient leur vie privée au cours de leurs discussions. L’un par éthique professionnelle, l’autre par une forme de pudeur qui le faisait dériver à chaque fois que l’on abordait ce genre de sujet. En particulier, le vieil homme ne parlait jamais des raisons qui l’avaient amené ici et devant ce silence, son interlocuteur n’osait pas lui poser de question. Il ne se doutait pas qu’un événement fortuit allait lui en apprendre plus qu’il n’aurait voulu. En effet, un jour parmi d’autres, il avait échangé quelques mots comme à son habitude avec Trezinsky, puis ce dernier évoqua un rendez-vous qu’il ne voulait pas manquer et disparut. Lloyd était déjà replongé dans ses pensées et se préparait mentalement aux activités du reste de la journée, lorsqu’il remarqua par hasard, oublié sur une chaise, le chapeau que son client ne quittait jamais. Aussitôt, dans un geste désintéressé, il courut le rapporter à son propriétaire qu’il rattrapa de justesse alors que celui-ci venait de franchir les portes de l’établissement. Trezinsky sembla extrêmement embarrassé, ce que Lloyd attribua sans peine à la hâte dans laquelle il se trouvait. Il s’apprêtait donc à s’en retourner immédiatement, lorsque quelque chose l’en empêcha. Une superbe jeune fille attendait de l’autre coté de la rue, mais surtout elle ressemblait trait pour trait au modèle qui avait été soumis à la Machine à rêves. Poussé par la curiosité, il retint le vieil homme pour lui demander :
-Alors, vous avez réussi ? Finalement, grâce à nous, vous l’avez séduite ?
-Ca ne vous regarde pas ! hurla celui-ci tout en exprimant vivement le désir de s’en aller, ce qui fit regretter à Lloyd son imprudence. C’est à ce moment-là que la jeune fille appela en faisant de grands gestes dans leur direction :
-Dépêche-toi papa, on va être en retard !